Chapitre 7 – En quête de son courage

Alisaie avait toujours été particulièrement fière de son aïeul. Pour elle, il n’y avait pas plus grand honneur que d’avoir eu un tel grand-père… Et comment aurait-il pu en être autrement puisqu’elle appartenait à une grande famille sharlayanaise, et que son aïeul n’était autre que Louisoix Leveilleur, un sage qui avait donné sa vie pour sauver Éorzéa lors du septième fléau ? Consciente de ne pas avoir le droit à l’erreur, Alisaie ne s’était épargné aucune peine pour se surpasser et avait excellé dans ses études. Malheureusement, elle avait tendance à ne pas respecter le protocole que se devaient d’observer les jeunes filles de bonne famille et à se conduire comme un garçon manqué. On lui reprochait également de médire parfois de son frère, qui était pourtant un jeune homme brillant. Elle ne le faisait pourtant pas par méchanceté, mais plutôt poussée par un vif sentiment de rivalité à son égard. En résumé, avoir Louisoix pour modèle ne l’avait pas rendue moins espiègle ou plus cérémonieuse… mais qui aurait osé le lui reprocher ?

Alisaie ne craignait pas l’inconnu. Elle s’était d’ailleurs lancée dans un voyage en solitaire à travers Éorzéa. Elle voulait connaître cette terre pour laquelle son grand-père avait rendu son dernier souffle. Elle voulait la voir de ses propres yeux, sans son frère ou servant… ni aventurier pour l’escorter.

Elle errait dans le Thanalan, sous un soleil de plomb, quand la soif la contraignit à pousser la porte d’une taverne sur son chemin.
« Tu t’fous d’moi !? », aboya une grosse voix masculine.
Elle ne put s’empêcher de regarder en direction de ces injures qui pleuvaient d’un coin de la salle et aperçut un homme de haute stature en train de s’en prendre à une jeune voyageuse vêtue d’une tenue modeste. Malgré sa petite taille, la fille ne se laissait pas impressionner par son interlocuteur, ce qui semblait fortement lui déplaire. Il finit d’ailleurs par lever le poing, d’un geste menaçant. Il était de toute évidence prêt à la frapper à tout moment…

À l’idée qu’une fois encore elle allait se retrouver mêlée à une querelle puérile entre gens peu civilisés, Alisaie poussa un profond soupir. Il était encore temps de faire demi-tour et de quitter cette maudite taverne, mais quelque chose la retenait en ces lieux. Louisoix n’aurait jamais fermé les yeux et passé sa route s’il avait été le témoin d’une telle scène.

« Tu me donnes chaud à t’agiter de la sorte. Je te conseille de te calmer avant que je ne m’occupe de ton cas. »

La voyageuse et l’homme, abasourdis par cette intrusion dont la froideur avait coupé court à leur dispute, se tournèrent vers Alisaie. L’incompréhension se lisait sur leur visage.
C’est ainsi que la petite-fille de Louisoix fit la rencontre de la jeune Emery…

En mettant fin à cette altercation, Alisaie avait prouvé qu’elle ne manquait ni de force ni de courage. Elle escortait désormais la caravane de la jeune Emery, dont l’homme menaçant avait en fait cherché à escroquer les marchands. Elle arrivait à point nommé : le contrat de l’aventurier qui assurait leur sécurité jusqu’à présent venait tout juste de s’achever et la caravane recrutait. L’offre séduisit Alisaie. Voyager avec eux lui permettrait de découvrir des raccourcis qu’ils empruntaient afin d’aller vendre leurs produits de village en village.
Alisaie apprit énormément à leur contact : leur mode de vie nomade, ce qui animait leurs conversations, les outils qu’ils utilisaient… Leur monde lui était jusqu’alors parfaitement inconnu. Heureusement, Emery était là pour lui expliquer tout ce qu’elle ne comprenait pas. Et même si Alisaie acquiesçait toujours sans rien laisser paraître de sa fascination, le sourire sur le visage d’Emery sous-entendait qu’elle lisait en elle comme dans un livre ouvert. La jeune voyageuse avait-elle compris que la petite-fille de Louisoix buvait ses paroles ? Terrifiée à l’idée que ce soit le cas, Alisaie mettait un point d’honneur à terminer brusquement chacun de leurs échanges.

Les jours s’écoulèrent et la caravane arriva enfin au hameau qui se trouvait au pied de la Mer de lances. L’endroit n’était certes pas aussi animé que les ruelles uldiennes, mais il était loin d’être désert. De nombreux voyageurs y séjournaient avant de reprendre leur chemin. Le travail d’escorte n’avait pas été trop difficile pour Alisaie, dont la tâche la plus pénible avait été de disperser un troupeau de chèvres qui bloquait la route du convoi. Elle fut cependant si rassurée d’arriver enfin à destination qu’elle poussa un soupir de soulagement. Elle décida même d’être plus aimable avec les braves qui l’escorteraient à l’avenir.

Elle retrouvait enfin un simple rôle de spectatrice, captivée par le spectacle que lui offraient ces marchands en train de se préparer pour commercer… jusqu’au moment où Emery vint la rejoindre.

« On risque d’avoir pas mal de pain sur la planche aujourd’hui. Tu ne veux pas venir nous donner un petit coup de main ?
– Jamais de la vie ! Je n’ai vraiment rien d’une vendeuse ! »

Mais Emery avait déjà saisi la main d’Alisaie et la tirait sans ménagement vers la place où s’affairaient les autres marchands, comme si elle n’avait rien entendu du refus de son amie. La jeune Sharlayanaise n’eut pas même le temps de réagir. Elle avait déjà en face d’elle les habitants du hameau, impatients de découvrir ce que la caravane leur avait apporté. Un petit attroupement s’était d’ailleurs déjà formé autour des étals de fortune pour examiner chaque produit sous toutes ses coutures. À cette vue, Alisaie fut d’abord saisie d’effroi et eut même un mouvement de recul. Si elle avait été comme Alphinaud, elle aurait affiché son plus séduisant sourire et elle se serait précipitée au cœur de cette foule… Mais impossible de lutter contre sa nature. Elle n’était pas comme lui. Elle aurait d’ailleurs immédiatement battu en retraite si Emery n’avait pas été là pour la retenir.

« On en a tellement parlé en chemin… Tu sais tout ce qu’il y a à savoir. Tant que tu te souviendras du prix de chaque produit, il n’y a pas de raison que ça se passe mal !
– Qu’est-ce que tu en sais ? C’est de la folie… Emery, tu m’écoutes !? »

Emery ne comptait pas en débattre avec Alisaie. Il y avait de quoi faire et elle était déjà repartie s’occuper des autres clients, abandonnant son amie à son sort. Cette dernière était encore bouche bée lorsqu’une cliente entre deux âges vint lui demander le prix d’une cotonnade qu’elle lui avait mis sous le nez. Alisaie la fixa longuement, comme paralysée. Emery comprenant rapidement l’embarras dans lequel la Sharlayanaise se trouvait se mit à sourire, tel l’enfant qui se réjouissait gentiment d’avoir joué un mauvais tour à un camarade. Il allait bien falloir se retrousser les manches. Alisaie balaya du regard la clientèle en ébullition avant de pousser un soupir.

La tâche n’avait pas été sans difficulté pour Alisaie et les marchands, dont les produits s’étaient incroyablement bien vendus. Ils avaient mérité une bonne nuit de repos. Les membres de la caravane séjournaient tous dans la très ancienne auberge qui se trouvait en bordure du village. Alisaie y partageait une petite chambre à deux lits avec Emery. En entrant dans la pièce, elle s’assit sur l’un d’eux et commença à parcourir des yeux un livre d’occultisme qu’elle s’était procuré en faisant halte à Ul’dah. Depuis ses années passées en formation, elle avait pris l’habitude d’ouvrir un livre tous les soirs et de prendre quelques notes dans le carnet qui aurait dû lui servir de journal. Lorsqu’elle découvrait quelque chose de nouveau, elle se levait un peu plus tôt le lendemain matin pour aller s’entraîner.

Ce soir-là, la situation était un peu différente. Cette expérience de la vente avait été éreintante, si bien que ses lourdes paupières l’empêchaient d’avancer dans ses lectures. Son cou avait par moment du mal à supporter le poids de sa tête, elle piquait du nez… Elle fut réveillée à l’arrivée d’Emery dans leur chambre. La jeune marchande esquissa d’ailleurs un léger sourire lorsqu’elle surprit Alisaie attraper d’un geste aussi instinctif que brusque le livre qui glissait de ses genoux et qui allait tomber sur le sol.

« Désolée pour aujourd’hui. Je t’ai quelque peu forcé la main.
– Pas de problème. C’était une bonne expérience. Enfin… presque. »

Emery était désormais assise sur le deuxième lit. Elle murmura quelques mots, avec curiosité et douceur, tout en observant Alisaie.

« Je ne sais pas comment tu fais pour étudier tous les soirs. C’est parce que tu ne veux pas que ton frère devienne meilleur que toi… c’est ça ?
– Au début, oui. Mais c’est surtout devenu une habitude en passant du temps avec mon grand-père.
– Tu y étais très attachée, ça se sent. Mais tu sais, c’est important de se reposer après une dure journée. »

Emery se leva lentement, prit le livre qu’Alisaie avait posé sur ses genoux et y glissa un marque-page avant de le refermer. Son amie demanda qu’elle le lui rende, mais Emery ne l’écoutait déjà plus. Elle déposa l’ouvrage à l’endroit où les deux jeunes filles avaient entassé leurs affaires et s’étira pour chasser un peu la fatigue.

« Tu liras demain. La journée a été riche en émotions. On a bien travaillé ! Tu peux sans doute t’épargner quelques pages ce soir… surtout après avoir étudié le commerce comme tu viens de le faire. Je suis certaine que Nald’thal ne t’en tiendra pas rigueur… ni ton grand-père d’ailleurs. »

Ces mots résonnèrent longuement dans la tête d’Alisaie, elle qui les aurait d’ordinaire qualifiés de mauvaise excuse pour ne pas se mettre au travail, avant de les ignorer immédiatement… Ils lui avaient offert une forme de réconfort, qui lui avait permis de se détendre enfin. Cette preuve de bonté avait quelque chose de nostalgique.
Emery tendait maintenant le bras pour éteindre la bougie. Un sourire paisible et doux illuminait son visage alors qu’elle souhaitait bonne nuit à sa camarade de chambre.

Ce fut la dernière soirée qu’Alisaie passa aux côtés d’Emery.

Une délicate lumière réveilla Alisaie en lui caressant le visage. Tout en restant dans le lit, elle s’assit pour mieux apprécier l’endroit où elle se trouvait. Elle se souvint alors qu’elle avait passé la nuit dans une auberge gridanienne. Le jour était en train de se lever et elle avait encore l’impression de rêver.

Son voyage avec la caravane marchande s’était achevé il y a déjà bien longtemps. Sa jeune amie n’était plus, ni ici ni ailleurs. Lorsque le jour s’était levé, ils avaient quitté le village tous ensemble pour prendre le chemin de leur prochaine étape, mais une tempête s’était abattue sur eux. Elle était plus violente que celles qui frappent d’ordinaire le Thanalan. La visibilité était réduite et la route escarpée. Par mesure de sécurité, les marchands avaient laissé un peu plus de distance entre chaque chariot. Qu’auraient-ils pu faire de plus ? Ils devaient emprunter ce raccourci. Malheureusement, un éboulement de terrain était venu emporter le dernier attelage du convoi dans un vacarme assourdissant. Le chariot dans lequel Emery était montée ne tarda pas à le suivre, englouti par une deuxième vague de terre glaciale. Par chance, celui d’Alisaie, qui se trouvait en tête de cortège, fut épargné.
Elle avait escorté les chariots restants jusqu’à la ville suivante, où elle les avait quittés. Elle n’avait jusqu’alors eu ni larmes ni sanglots pour les disparus. Mais en se retournant pour contempler ce qu’il restait de cette caravane avec laquelle elle avait vécu pendant quelque temps, elle comprit combien la perte avait été grande. La réalité la rattrapa. Le cœur serré et la gorge nouée, elle sentit les larmes couler sur son visage.

Voilà qu’elle était à nouveau seule au monde.

Elle reprit la route et s’enrichit de nouvelles expériences au fil des rencontres et des séparations qu’elle vécut. Elle eut même du mal à croire qu’un corps si frêle puisse amasser autant de souvenirs. Elle s’était en tout cas fixé un nouvel objectif : savoir qui étaient ces « héros » qui faisaient tant parler d’eux, mais ne semblaient pas avoir de lien avec les Héritiers de la Septième Aube. Tout le monde s’inquiétait des troubles qui agitaient Ishgard et ne semblait pas se rendre compte que quelque chose de préoccupant se tramait dans l’ombre de la forêt de Sombrelinceul. Quelque chose qui affecterait les Primordiaux et qui pourrait prendre de court Alphinaud et ses amis.

Alisaie se leva et ouvrit la fenêtre pour contempler l’aube.
Elle était silencieuse, mais son cœur semblait crier :
« Cette journée va être riche en émotions ! »